Chaque année, environ 400 000 homicides sont recensés dans le monde selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Derrière ce chiffre glaçant se cache une réalité troublante : les meurtres ne sont pas le simple fruit de la folie individuelle ou de pulsions incontrôlables. Ils sont profondément ancrés dans des dynamiques sociales, économiques et politiques que seule l’approche sociologique permet de décrypter pleinement.
Prenons un exemple fictif mais représentatif : deux hommes commettent un meurtre la même semaine, dans deux pays différents. Le premier, issu d’un quartier défavorisé de São Paulo, tue un rival dans une guerre de gangs liée au trafic de drogue. Le second, employé de bureau à Oslo, assassine son voisin après des années de harcèlement psychologique non résolu. La criminologie classique analysera leur profil psychologique. La sociologie, elle, interrogera les structures qui ont rendu ces actes possibles : inégalités économiques, absence de soutien institutionnel, normes culturelles de la violence, accès aux armes.
Cet article présente les six grandes familles de facteurs identifiées par la sociologie des meurtres et explique pourquoi cette perspective globale est indispensable pour prévenir la violence meurtrière.
Table des matières
Pourquoi la sociologie transforme notre compréhension des meurtres
La sociologie des meurtres ne nie pas les dimensions psychologiques ou légales de ces actes. Elle les replace dans un système plus vaste : celui des relations humaines, des institutions et des structures de pouvoir.
Contrairement à l’approche individuelle, qui isole le meurtrier comme une exception pathologique, la sociologie révèle que les meurtres sont des faits sociaux au sens où Émile Durkheim l’entendait dès 1897 dans Le Suicide. Ils varient selon les contextes historiques, géographiques et culturels. Les taux d’homicides au Salvador (52 pour 100 000 habitants en 2020) sont 200 fois supérieurs à ceux du Japon (0,26 pour 100 000). Cette différence abyssale ne s’explique pas par la psychologie individuelle, mais par des facteurs structurels : économie de la drogue, accès aux armes, cohésion sociale, efficacité des institutions.
💡 DÉFINITION : Sociologie des meurtres
Branche de la sociologie criminelle qui analyse les homicides comme des phénomènes sociaux influencés par des structures économiques, culturelles, institutionnelles et politiques.
Exemple : les conflits de gangs en Amérique centrale sont liés à la pauvreté, au trafic de drogue et à la faiblesse des États.
La sociologie permet ainsi de dépasser les explications simplistes (« les meurtriers sont fous ») pour identifier des leviers d’action collective : renforcer les institutions, réduire les inégalités, contrôler l’accès aux armes, transformer les normes culturelles.
Les six familles de facteurs sociologiques des meurtres
1. Facteurs individuels : psychologie et précarité
Les traits psychologiques (impulsivité, troubles mentaux non traités) jouent un rôle, mais ils sont amplifiés par le statut socio-économique. La théorie de la contrainte (strain theory) de Robert K. Merton montre que les individus exclus des opportunités légitimes (emploi, éducation) sont plus susceptibles de recourir à la violence pour atteindre leurs objectifs.
Exemple : un jeune sans diplôme ni emploi dans un quartier où le trafic de drogue offre les seuls revenus accessibles est structurellement poussé vers la criminalité.
📊 CHIFFRE-CLÉ
Les pays où le coefficient de Gini (mesure des inégalités) dépasse 0,50 ont des taux d’homicides 5 fois supérieurs à ceux où il est inférieur à 0,30 (Banque mondiale, 2021).
2. Facteurs sociaux : famille et pairs
La dynamique familiale façonne les comportements violents. Les enfants exposés à la violence domestique ou aux abus sont statistiquement plus enclins à reproduire ces schémas à l’âge adulte. Parallèlement, la pression des pairs — notamment via l’affiliation à des gangs — normalise la violence comme mode de résolution des conflits.
Exemple : aux États-Unis, 80 % des homicides chez les jeunes de 15 à 24 ans sont liés à des affiliations à des gangs (FBI, 2020).
3. Facteurs culturels : normes et médias
Certaines cultures valorisent l’honneur et la vengeance, créant des environnements où la violence est perçue comme légitime. Les médias jouent également un rôle en banalisant la violence : films, jeux vidéo et séries peuvent créer une désensibilisation progressive.
Exemple : dans certaines régions du Moyen-Orient ou d’Amérique latine, les « crimes d’honneur » restent tolérés par des normes sociales patriarcales, malgré leur condamnation légale.
💡 CONCEPT : Désensibilisation médiatique
Exposition répétée à des représentations violentes réduisant l’empathie et augmentant la tolérance à la violence réelle.
Débat : les recherches sont divisées sur l’ampleur de cet effet.
4. Facteurs économiques : pauvreté et économies illégales
La pauvreté extrême est corrélée aux taux d’homicides, mais c’est surtout l’économie illégale (trafic de drogue, contrebande d’armes) qui génère une violence systémique. Les organisations criminelles utilisent le meurtre comme outil de contrôle territorial et de régulation interne.
Exemple : au Mexique, la « guerre contre la drogue » lancée en 2006 a causé plus de 350 000 morts, la majorité liés aux rivalités entre cartels.
5. Facteurs institutionnels : justice et armes
L’efficacité des forces de l’ordre et des systèmes judiciaires détermine les taux d’homicides. Une police corrompue ou sous-équipée ne peut ni dissuader ni résoudre les crimes. De même, l’accès aux armes à feu multiplie la létalité des conflits : une dispute domestique devient homicide si une arme est accessible.
📊 CHIFFRE-CLÉ
Les États-Unis, avec 120 armes pour 100 habitants, enregistrent un taux d’homicides par armes à feu 25 fois supérieur à celui des pays européens (Institute for Health Metrics, 2022).
6. Facteurs politiques : instabilité et corruption
Les conflits civils et l’instabilité politique sont les principaux moteurs des homicides de masse. La corruption permet l’impunité des meurtriers, qu’ils soient membres de forces armées, de gangs ou d’élites économiques.
Exemple : en Syrie, la guerre civile (2011-2023) a causé plus de 500 000 morts, dont une majorité d’homicides liés aux violences politiques et aux massacres de masse.
Ce que révèle l’approche sociologique : interconnexion et prévention
La force de la sociologie réside dans sa capacité à relier ces six facteurs. Un meurtre n’est jamais la conséquence d’un seul élément, mais d’une combinaison unique : un individu fragilisé psychologiquement (facteur 1), élevé dans un environnement violent (facteur 2), influencé par des normes culturelles agressives (facteur 3), vivant dans la pauvreté (facteur 4), ayant accès à une arme (facteur 5), dans un contexte d’État faible (facteur 6).
Cette interconnexion implique que la prévention doit être systémique :
- Réduire les inégalités économiques
- Renforcer les services sociaux et la santé mentale
- Contrôler l’accès aux armes
- Lutter contre la corruption et renforcer l’État de droit
- Transformer les normes culturelles via l’éducation
💡 APPROCHE MECE (Mutually Exclusive, Collectively Exhaustive)
Méthode d’analyse exhaustive où chaque facteur est distinct mais tous ensemble couvrent l’ensemble du phénomène.
Application : les 6 facteurs ne se chevauchent pas mais expliquent collectivement les meurtres.
Conclusion : vers une prévention éclairée
Comprendre les meurtres par la sociologie, c’est accepter une vérité dérangeante : nous sommes tous, collectivement, responsables des structures qui produisent la violence. Les meurtres ne sont pas des aberrations individuelles, mais des symptômes de dysfonctionnements sociaux profonds.
Les solutions existent : des pays comme le Japon, la Norvège ou Singapour prouvent qu’il est possible de maintenir des taux d’homicides extrêmement bas grâce à des politiques publiques cohérentes. La question n’est pas « peut-on prévenir les meurtres ? » mais « sommes-nous prêts à transformer nos sociétés pour le faire ? ».
Pour aller plus loin
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Question de réflexion :
Dans votre pays, quel facteur parmi les six vous semble le plus déterminant dans les homicides ? Pourquoi ?
FAQ
Quels sont les principaux facteurs sociologiques des meurtres ?
La sociologie identifie six familles de facteurs interconnectés : individuels (psychologie, précarité), sociaux (famille, gangs), culturels (normes, médias), économiques (pauvreté, trafics), institutionnels (justice, armes) et politiques (instabilité, corruption). Aucun facteur n’agit seul : c’est leur combinaison qui produit la violence meurtrière.
En quoi la sociologie se distingue-t-elle de la criminologie classique ?
La criminologie se concentre sur les profils individuels et les aspects légaux. La sociologie, elle, analyse les structures sociales, économiques et politiques qui rendent les meurtres possibles. Elle montre que les taux d’homicides varient selon les contextes sociaux, révélant des causes collectives au-delà de la psychologie individuelle.
Pourquoi les inégalités économiques augmentent-elles les taux de meurtre ?
Les inégalités créent des frustrations et limitent l’accès aux opportunités légitimes (emploi, éducation). Selon la théorie de la contrainte de Merton, les individus exclus peuvent recourir à des moyens illégaux — parfois violents — pour atteindre leurs objectifs. Les économies parallèles (trafics) prospèrent dans ces contextes, générant une violence systém